En Amazonie chez les Jivaros ...
Du 11 au 15 février 2020.
Disons le tout de suite, nous n’avons vu aucun réducteur de tête, tout au plus quelques crânes réduits dans un musée !
Il y a bien longtemps que les indiens de la région ont abandonné cette pratique barbare. D’ailleurs le nom de jivaros, donné à l’origine par les espagnols est devenu très péjoratif et n’est plus employé. Les différents groupes qui composaient cet ensemble sont aujourd’hui désignés par le nom qu’ils se donnent depuis toujours.
Ceux que nous avons visités sont les Shuars.
Pour aller à leur rencontre, il nous a fallu changer de monde : depuis Cuenca, une route magnifique mais tourmentée dans la sierra nous a menés en bordure de l’ « Oriente », la partie amazonienne de l’Equateur.
2.000 mètres plus bas, nous voilà dans les fougères géantes, les bananiers et les orchidées. La fraîcheur de Cuenca (8° ce matin) cède la place à la touffeur amazonienne. C’est le soir à Sucùa que nous retrouvons nos cousins, Patrick et Esperanza, qui eux ont voyagé en bus. Nous nous installons dans un petit hôtel à 15 dollars la nuit dans le centre de cette petite ville commerçante aux larges avenues.
Notre première journée sur place est consacrée principalement à la découverte de la flore locale. Je connais certains botanistes (ils se reconnaitront) qui deviendraient fous ici tant la végétation est extraordinaire par son abondance et sa diversité. J’ai lu qu’on peut recenser environ 200 espèces à l’hectare en Amazonie contre une dizaine dans nos forêts. Une promenade en forêt dans un parc botanique nous en donne une première illustration.
L’après-midi nous montons à la finca el Piura qui du haut d’une colline domine la ville. Mariela Salinas et ses parents y ont créé un jardin superbe …
Le lieu est magique et nous y passerons deux nuits seuls, dans un calme absolu, car la famille Salinas n’habite pas la finca où il n’y a qu’un bâtiment rustique sans électricité, un lavabo de pierre et une douche en plein air …
A 18 heures ils partent dans leur maison en ville fermant la grille d’accès en bas de la colline.
Le soir nous restons avec le chien de la maison, les chats, les oiseaux, les insectes nocturnes … et quelques averses car ici il pleut tous les soirs. Ce n’est pas un hasard si la nature est si généreuse : chaleur et humidité règnent toute l’année. Nous avons eu la chance d’avoir souvent du soleil dans la journée et jamais de pluie.Nous devons remercier Patrick et Esperanza de nous avoir suggéré cet arrêt de quelques jours à Sucùa, petite ville très tranquille ignorée des guides de voyages. Nous y prenons vite nos habitudes et la vie n’y est pas chère pour nous. Pour les repas, quand nous ne les prenons pas dans Trottinette, nous trouvons dans les rues des gargotes où pour 2,5 $ on sert une assiette de poulet et de bananes grillés, semoule de banane verte et salade, plus un verre de coladita, une délicieuse boisson à l’avoine. Un régal, même si le cadre n’est pas forcément raffiné …
Autour de la ville, nous explorons un peu les pistes pour découvrir les petits villages nichés dans la verdure. Le rio Upano nous offre un peu de sa fraicheur pour un agréable moment en compagnie de quelques familles équatoriennes venues comme nous pique-niquer au bord de l’eau ou pêcher à l’épervier …
Le top : le grand moment de ce séjour restera à coup sûr notre visite à la communauté shuar « Kintia Panki ».
Pour vous raconter ce grand moment, j’ai la chance d’avoir à mes côté mon cousin Patrick, bien plus talentueux pour l’écriture que moi. Il a bien voulu me confier les lignes qui suivent, récit teinté de poésie et d’humour de notre rencontre avec les Shuars …
Chapitre 1 : La cérémonie de bienvenue.
Après avoir serpenté sur les flancs des collines boisées toute la matinée, nous arrivâmes à une clairière qui allait sceller notre sort …
La femme du chef nous reçut - El Olonès, Nikita, Pirita et votre serviteur - et nous indiqua les « baños » de la grande case d’accueil. Des enfants intrigués nous épiaient à travers les fentes des parois de cette hutte communautaire, sorte de salle des fêtes, lieu de cérémonies au centre duquel était posé un simple rondin sur lequel allait s’assoir El Olonès.
Sanaray, le chef, entra. Trapu, robuste, mollets d’acier, il posa son bouclier dans un coin de la salle et se planta devant nous. « Il me faut un volontaire ! », cria t’il dans un espagnol sans hésitation mais à l’accent shuar. Il fixa El Olonès dans les yeux, lui indiquant le siège central de l’invité. Le fils des Sables s’y assit …
Le chef lui confia une lance qu’il tint tout le temps de la cérémonie de bienvenue. Ce geste signifiait que la confiance s’installait et que nous étions acceptés dans le village.
Sanaray se lança alors avec fracas et cris dans une suite pas cadencés, en avant, en arrière, pointant de sa lance les visages de chacun de nous, visant le plus souvent le regard impassible de l’Olonès, incrédule devant ces gestes de violence feinte.
Puis le chef s’apaisa, le ton baissa et seuls quelques moustiques, étourdis par la frénésie ambiante, se risquaient à tournoyer autour de nos têtes.
Il nous invita alors, abruptement, sans préavis, à le suivre vers les cascades sacrées …
Chapitre deux : Rite aux cascades sacrées.
Certains serpents s’assombrissent en cas de danger. Kantia panki !
Mais ce matin-là, ils devaient pâlir car Nikita avait paré sa cheville d’un « chapaka », chasse-serpent constitué de graines fixées à une peau de boa qui tinte ainsi à chaque pas. Ces grelots portatifs faisaient un bien joli bruit sur le chemin de la cascade, le long d’un ruisseau qui s’élargissait au fur et à mesure de l’ascension vers les cimes. Les fougères géantes se refermaient sur nos pas.
Il y eut d’abord un arrêt à une première cascade pour l’offrande du tabac. Sanaray se planta sur un rocher, et tenant bien haut une coupe de cérémonie, il offrit une boule tabac qu’il trempa dans la cascade. Il inhala fort le liquide qui en sortait et recracha le tout en fines gouttelettes, mi-salive mi-tabac, qui se mélangèrent aussitôt à la vapeur en suspension des eaux.
Le Shuar sembla satisfait de cette requête aux dieux de la cascade, « l’aruka mazuki » purificatrice. L’ascension repris derrière les grelots protecteurs.
La seconde cascade, en cirque, était plus imposante … Un autre Shuar se tenait là sur un rocher, majestueux dans sa pose de guerrier.
Sanaray renouvela les incantations, cette fois-ci brandissant sa lance et demandant la permission de plonger dans les eaux profondes à l’endroit même où la chute formait un creux dans un incessant nuage d’écume.
Il frappa alors de sa lance la surface des eaux de nombreuses fois, à droite, à gauche, devant lui, s’avançant peu à peu jusqu’à ce que les eaux lui atteignent la ceinture. Tout en frappant, il porta son regard vers les hauteurs, puis plongea. Il disparut. Il émergea en recrachant violemment, formant autant de petits nuages qu’il y en avait dans le ciel.
Il me sembla alors apercevoir, étendu sur un tronc, un puma qui nous observait d’un œil amusé …
Le guide de cérémonie nous fit alors comprendre qu’il était temps de redescendre. Les grelots lui emboitèrent le pas prestement pour une invitation à des danses qui allaient détendre l’atmosphère.
Chapitre trois : les danses sacrées.
Le chef, un autre Shuar et trois femmes, se disposèrent face et face et commença alors la danse du toucan. Nous étions spectateurs pour cette première danse.
Sur deux temps, quatre mouvements, les danseurs se déplaçaient à droite, à gauche, en avant, s’accroupissaient, se relevaient ; l’un sifflait comme un toucan (la poule caquète, la pie jacasse … que fait le toucan ?), et tous battaient des ailes au rythme de leurs mouvements plumitifs.
Puis vint la danse du "shuank", le vautour, à laquelle nous fûmes tous invités. C’est là qu’entra en action le technicien du son, introduisant une clé USB dans un lecteur.
Guère de différence avec la danse du toucan, si ce n’est que nous ne devions pas nous accroupir, mais planer avec un mouvement des bras pour simuler le battements des ailes. Nous nous efforcions d’être majestueux. Ce fut émouvant. Je crus même voir un instant Pirita s’élever du sol, alors que ses bras n’étaient pas loin d’atteindre la vitesse des ailes d’un colibri. C’était trop pour un vautour, mais personne ne remarqua rien. La case de cérémonie s’était transformée en une immense volière. Les poules s’étaient terrées dans un coin du patio …
Le soleil de midi battait son plein. Le moment était venu de nous séparer de nos hôtes ; cela tombait bien, car nous nous sentions encore des ailes.
Lors de la séance de bienvenue, un prénom shuar avait été donné à l’Olonès : Itzar, le Soleil, la Lumière, qu’il était désormais chargé de ramener chez lui et de répandre parmi les siens d’outre-Atlantide. Nous partîmes tous irradiés de lumière lors de notre passage chez le peuple shuar …
Bien sûr les Shuars d’aujourd’hui ne vivent plus comme leurs ancêtres. Les enfants vont à l’école, ils utilisent des smartphones comme vous et moi et la communauté Kintia Panki possède même sa page Facebook. Mais le tourisme leur donne une belle opportunité de faire vivre les traditions de leur peuple et aussi de défendre leur territoire : la région, gavée de pétrole et de gaz suscite bien des convoitises !
Sanaray, qui nous a reçus, est à 34 ans le leader de sa communauté et est très engagé dans la lutte des Shuars pour se faire reconnaitre comme citoyens équatoriens à part entière.
Le flop : à notre arrivée à Sucùa, nous allons au bureau d’informations touristiques prendre quelques renseignements. Au fond d’une cour, nous attend un vaste bureau, une douzaine de personnes manifestement bien peu occupées … et un accueil extraordinaire. Chacun veut nous serrer la main, nous embrasser, nous renseigner, nous faire un cadeau …
Où est le flop direz-vous ? Il arrive …
Gerardo, le responsable nous donne rendez-vous le lendemain à 6 heures du matin sur la place centrale pour nous amener observer les oiseaux dans la forêt. Nous nous levons à 5h 30, arrivons ponctuels au rendez-vous sur la place déserte et commençons une longue attente … qui ne sera pas récompensée.
En guise d’oiseaux, Gerardo nous a posé un lapin !
Le saviez-vous ?
Les Shuars sont l’un des peuples amérindiens habitants la Haute Amazonie auxquels les espagnols avaient donné le nom de jivaros («sauvages, barbares ») et dont le territoire est désormais coupé en deux par la frontière entre l’Equateur et le Pérou. Ils seraient environ 40.000 aujourd’hui.
Guerriers farouches, connaissant parfaitement la forêt, ils ont résisté aussi bien aux incas qu’aux espagnols. La coutume des « tzantas », les têtes réduites, est bien sûr celle qui a le plus marqué l’imagination des occidentaux d’autant que quelques missionnaires et explorateurs en ont été victimes. Le but de cette pratique était de s’approprier la force de l’âme de l’ennemi. Ce n’est que dans les années 70 que cette pratique a été interdite, alors qu’elle donnait lieu à beaucoup de dérives : les tzantas, très recherchés par des collectionneurs, devenaient un objet de troc pour les shuars !
Depuis la fin des années 90 la langue shuar est reconnue par l’état équatorien et 11.000 km2 de terres leur ont été attribués en Amazonie. (Source principale : Wikipedia)
L’anecdote : En face de notre hôtel, le coiffeur régale toute la rue de musique pop. Nous pensons que son enseigne informe sur ses origines mais en fait El Chinito, n’a rien de chinois : il est ainsi surnommé en raison de ses yeux bridés.
Quoiqu’il en soit nous profitons de la proximité du salon : Nickie se fait couper les cheveux et moi raser la barbe. C’est la première fois de ma vie qu’un barbier me rase sans savon à barbe. Il est vrai qu’il manie bien son grand rasoir mais ça chauffe quand même un peu !
Mais que dire alors que je paie cinq $ pour nous deux !
Le bestiaire : autant la flore est exubérante, autant la faune est discrète et comme nous n’avons pas observé les oiseaux avec Gerardo, me voilà avec trois papillons et un crabe de rivière !
No comment :
Après ces belles journées chez les Shuars notre prochaine étape, un peu plus au nord, va nous mener cette fois à la rencontre des Quechuas.
Bon Shuar madame, bon Shuar mademoiselle, bon Shuar monsieur !
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